Le lieu de baptême du Christ divise les scientifiques, les politiciens et les croyants
Le Baptême du Christ est l’un des premiers passages de l’Évangile. Selon les Écritures, quand Jésus a eu trente ans, Jean le Baptiste prêchait dans le désert de Judée et tout Jérusalem, toute la Judée et les environs jordaniens venaient se confesser à lui et se faire baptiser dans les eaux du Jourdain. Jésus est également venu.
«Moi, je baptise d’eau, mais au milieu de vous il y a quelqu’un que vous ne connaissez pas, qui vient après moi; je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers», c’est ainsi, selon Jean l’évangéliste, que Jean le Baptiste a réagi à l’approche du Christ.
Le lieu de baptême du Christ est mentionné une seule fois dans l’Évangile:
«Ces choses se passèrent à Béthanie, au-delà du Jourdain, où Jean baptisait.» (Saint Jean 1:28).
Le nom de Béthanie se traduit de l’araméen comme «la traversée des prophètes».
Selon l’archéologue jordanien Rustom Mkhjian, Jean n’a pas baptisé le Sauveur à cet endroit par hasard.
«On sait que près du Jourdain se trouvait le mont où, selon les écrits, Elie le prophète était monté au ciel. Et la grotte où vivait Jean le Baptiste. Les habitants des environs pensaient même que c’était Elie qui était revenu. D’autant que Jean prêchait au même endroit qu’Elie, sur la rive est du Jourdain. A cette époque, cette région était considérée comme sûre car il n’y avait pas de Romains», explique le chercheur.
La légende biblique a fourni aux chercheurs un premier indice et c’est un moine russe qui a aidé à trouver l’endroit exact de l’ascension d’Elie: Tell Mar Elias.
Le premier pèlerin russe en Terre sainte, l’higoumène Daniel, a rédigé au XIIe siècle une description détaillée des lieux qu’il avait visités. Voilà ce qu’il racontait sur Tell Mar Elias:
«A l’est du fleuve Jourdain à une distance de deux vols de flèche, se trouve l’endroit d’où Elie le prophète a été amené au ciel dans un char enflammé. Au même endroit se trouve la grotte de Jean le Baptiste. Ici coule un flot d’eau abondant, il coule joliment sur les pierres du Jourdain. L’eau y est glaciale et très bonne. Cette eau était bue par Jean le Baptiste quand il vivait dans la grotte.»
En 1996, les archéologues ont entamé les recherches. Par la suite, ils ont retrouvé les décombres d’une cathédrale de Byzance avec une coupole en croix, et à côté le lit du «ruisseau de Jean le Baptiste» pavé.
Il s’avère qu’à cet endroit se trouvait un monastère, détruit ensuite par un tremblement de terre. Sur le sol de la cathédrale nous avons trouvé une mosaïque avec une inscription en grec:
«Ce monastère a été bâti par le moine Ritori en 592 ap. J.-C.», explique Rustom Mkhjian.
Cependant, la distance entre Tell Mar Elias et le Jourdain étant assez grande — plus d’un kilomètre — il était donc difficile de trouver l’endroit exact du baptême du Christ. Comme souvent c’est un hasard qui a conduit sur la bonne piste.
A environ 20 km à l’est du Jourdain se trouve la ville de Madaba, où se situe l’église orthodoxe Saint-Georges érigée en 1894. Pendant sa construction, les ouvriers sont tombés sur un immense panneau en mosaïque du VIe siècle mentionnant différentes villes, dont Jérusalem, Bethléem et Gaza.
Ce tableau faisait partie d’une immense «carte de Madaba» de la Terre sainte. Seul un fragment de 5x7m a été conservé jusqu’à aujourd’hui et l’emplacement du baptême du Christ y est indiqué.
Les chercheurs l’ont compris grâce aux deux poissons, symbole du christianisme, représentés près de la traversée des prophètes. «Sur la carte, le fleuve tombe dans un grand lac, et les poissons nagent dans le sens inverse. Il s’agit donc du Jourdain tombant dans le mer Morte, dont l’eau salée n’est supportée par aucun être vivant», explique l’archéologue.
Mais la carte ne mentionne pas de quel côté du fleuve se trouve cet endroit. C’est ce qui suscite les débats entre les chercheurs.
A en juger par la carte, Béthanie se trouve sur la rive ouest d’où la version selon laquelle le Christ aurait été baptisé à Kasser al Yahoud (château des Juifs), où se trouve aujourd’hui le monastère de Jean le Baptiste (Église orthodoxe de Jérusalem).
«Pour la fête du Baptême, le patriarche de Jérusalem, avant d’accomplir le rituel de jet de la croix dans l’eau, entre dans cet ancien petit monastère qui se trouve quelque part à 1,5 km de la rive ouest du Jourdain», explique l’historien orientaliste Mikhaïl Iakouchev.
Cependant, deux choses rendent les archéologues perplexes.
Premièrement, en 1106, l’higoumène Daniel écrivait qu’une chapelle se trouvait à l’endroit du baptême. Or le monastère Jean le Baptiste de Kasser al Yahoud était en ruines à l’époque, après le tremblement de terre de 1024.
Deuxièmement, en deux mille ans le Jourdain a changé plusieurs fois de lit, essentiellement à cause des séismes.
Après la guerre des Six jours de 1967, la frontière entre Israël et la Jordanie passait précisément sur le fleuve, dont les deux pays avaient miné les rives. C’est seulement après la signature d’un traité en 1994 et le déminage de la rive est qui a suivi (le déminage de la rive ouest a commencé seulement cette année), que les chercheurs ont pu inspecter de nouveau le lieu saint.
Les archéologues soulignent la manière dont les pèlerins décrivaient l’église située à l’endroit du baptême. Par exemple, l’abbé Antoine de Padoue, qui a visité la Terre sainte en 570, remarquait qu’elle était située à même le fleuve sur la rive est et que l’autel était un bassin en forme de croix.
Selon les historiens, cette église a été construite sur la rive est au IVe siècle sur ordre de Sainte Hélène, mère de l’empereur Constantin le Grand. Le lieu exact lui avait été indiqué par les moines qui vivaient dans les grottes à proximité. Et ces derniers se référaient aux témoignages des habitants locaux.
Grâce aux témoignages des pèlerins des VI-XIIe siècles, ainsi qu’aux photos des ruines prises dans les années 1930 par des moines français, les chercheurs ont déterminé l’emplacement approximatif de cette église et ont commencé les fouilles.
«En 1996, nous avons commencé à étudier toute la zone entre la Jordanie et le Tell Mar Elias. Dans chaque zone nous prenions des mesures — nous creusions des trous. Si des artefacts étaient retrouvés, comme des croix, le trou était élargi», raconte Rustom Mkhjian.
Et l’une des tentatives a porté ses fruits. Les archéologues ont découvert les vestiges d’une ancienne église de Byzance avec des bassins en forme de croix — exactement comme dans la description des pèlerins du Moyen-Âge. Et, à proximité, des traces d’un lit de fleuve.
L’église a été définitivement déblayée seulement en 2002. Chaque parcelle dégagée devait subir des opérations de conservation pour ne pas s’effondrer.
En 2016, Al Maghtas, où la cathédrale a été découverte, a été inscrite par l’Unesco sur la liste du Patrimoine mondial en tant que lieu du baptême du Christ.
Et, selon la Direction jordanienne du tourisme, chaque année les croyants viennent de plus en plus nombreux à cet endroit.