Le livre des psaumes, le psautier, contient des paroles de violence parfois choquantes.
Nous pourrions être tentés de tenir ces passages, les psaumes de malédiction en particulier pour des témoignages d’un passé révolu qu’il ne faudrait pas utiliser pour prier aujourd’hui mais la Bible toute entière est Parole de Dieu et il convient de lire ces textes à l’intérieur du discours biblique.
Le Psaume 109 est l’un des psaumes censurés par la liturgie en raison de sa violence.
Il s’adresse au Dieu que je loue (verset 1) comme pour signifier d’emblée que le mouvement de la louange, un moment interrompu par l’épreuve, pourrait être repris.
La supplication s’élève parce que Dieu semble se taire face à une situation intolérable, faite d’accusations mensongères, de trahison et de mal rendu pour du bien (versets 2-5).
Des imprécations (versets 6-20) en appellent au jugement de Dieu, à un tribunal injuste et à la mort de l’ennemi, à la ruine de sa famille et à l’aliénation de ses biens, à la suppression de sa descendance et à la disparition de son souvenir.
L’anéantissement total de l’ennemi est donc souhaité, car il n’a pas agi avec loyauté, a persécuté à mort un pauvre et proféré la malédiction (versets 16-19).
La violence subie est telle que l’agressé en appelle à l’action de Dieu pour que l’efficacité de la malédiction se retourne contre celui qui l’a prononcée.
La prière se conclut par une requête confiante : et toi, Seigneur, agis en ma faveur pour l’honneur de ton nom. Ta loyauté est bienfaisante, délivre-moi. Dieu, qui ne peut oublier les malheureux (versets .22-31), se doit d’agir.
L’expérience du mal subi pourrait conduire jusqu’à mettre en cause l’existence de Dieu.
Dans ces conditions, lui demander d’intervenir pour rétablir la justice, c’est aussi inévitablement le supplier d’éliminer l’ennemi, le mal en somme. Ce qui est en jeu est la vérité de Dieu et la manifestation de sa justice.
Les psaumes de malédiction surgissent d’un conflit où est en jeu la vie corporelle d’un individu ou d’un peuple.
Le Psaume 137 illustre le propos en présentant la situation d’exilés, à qui les conquérants babyloniens demandent avec ironie de chanter un chant de Sion.
A cette demande, les exilés éplorés sentent monter en eux un désir de vengeance.
Traumatisés par ce qu’ils ont vécu et par ce qui leur revient en mémoire, ils en appellent à un retournement de situation : que Dieu châtie les Edomites qui ont convoité la ruine de Jérusalem et les Babyloniens qui l’ont exécutée.
L’exclamation des versets 8-9 vient dans le feu même de la passion suscitée par l’épreuve endurée : Babylone la belle, toi qui vas être ravagée, heureux qui te paiera de retour pour le mal que tu nous as fait ! Heureux qui saisira tes enfants et les écrasera contre le roc !
Ce sont aux femmes que les Babyloniens, qui ont tué leurs enfants en détruisant leur ville, viennent demander ensuite si elles ne pourraient pas maintenant… leur chanter quelque chose.
La réponse de ces femmes n’est certainement pas plus cruelle que la demande qui leur a été faite.
La violence s’ajouterait à la dérision, s’il fallait qu’une réputation de cruauté fût désormais attachée à ces mères… »
Prières imparfaites ou miroirs de nos âmes ?
Le Psaume 137 appelle à prier pour tous les opprimés sans-voix.
Il manifeste aussi que la colère est un sentiment de protection quand l’intégrité d’une personne ou d’un peuple est touchée.
Les psaumes de malédiction nous tendent au fond un miroir et débusquent ce que nous voudrions nous masquer à nous-mêmes, nos désirs de vengeance et nos agressivités intérieures.
Fallait-il que la Bible laisse place à des prières si imparfaites ?
« C’est bien à cause de son imperfection que ce psalmiste nous est donné pour associé et pour compagnon, que ses mots à lui sont posés par Dieu sur nos lèvres.
Notre erreur est de le vouloir pour modèle, alors qu’il nous est donné pour frère.
Prenons garde qu’il y a ici un point de décision et de jugement pour le lecteur de la Bible.
Ou bien il rougira d’être invité à prier en compagnie des publicains et des pécheurs…, ou bien il acceptera de reconnaître son image dans ce qui lui paraîtra le moins élevé de la prière des Psaumes »
Le psalmiste ne demande pas à Dieu des forces pour se venger, il lui laisse le soin d’exercer la justice.
Prier c’est alors se déposséder de son désir de vengeance, en l’adressant à Dieu dans un mouvement de confiance.
Les psaumes de malédiction nous permettent de prier non pas contre les violents mais avec eux.
Reflétant un monde dont nous ne voudrions pas être solidaires mais auquel nous participons pourtant, ils nous ouvrent un chemin de conversion.
Les psaumes de malédiction dénoncent un mal subi.
Ils appellent Dieu à manifester sa justice et à combattre les fauteurs de crimes.
En les priant, nous prêtons notre voix à ceux qui sont réduits au silence par la souffrance, nous nous dépossédons de nos désirs de vengeance et nous nommons les forces destructrices que nous devons combattre par fidélité au Christ.