Quels étaient les liens entre église catholique et franc-maçonnerie ?

 

église catholique et franc-maçonnerie

De 1738 à 1983, c’est-à-dire de la bulle In eminenti, du pape Clément XII, premier document romain sur la franc-maçonnerie, à la Declaratio de associationibus massonicis, de la Congrégation pour la doctrine de la foi, à ce jour le dernier document romain sur la question, on compte une trentaine de textes officiels du Saint-Siège sanctionnant l’appartenance de catholiques à la franc-maçonnerie.

Schématiquement on peut les classer en trois grands ensembles, qui se succèdent chronologiquement, selon les points sur lesquels ils font surtout porter leur critique : d’abord, au XVIIIe siècle, le secret ; puis, au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe siècle, le complot ; enfin, depuis les années 1960, le relativisme.

In eminenti prononçait à l’encontre des catholiques appartenant aux loges une excommunication latae sententiae (« par la seule disposition du droit »), dont la levée était réservée uniquement au Saint-Siège.

Cette bulle étant restée à peu près sans effet, sinon à Rome, au Portugal et en Espagne, elle fut reprise et développée en 1751 par la constitution Providas de Benoît XIV.

Outre par des raisons d’ordre politique et conjoncturel (en 1738, le conflit dynastique entre Hanovre et Stuarts, relayé sur le continent par les loges ; en 1751, les luttes d’influence en Toscane), ces condamnations étaient justifiées par des motifs juridiques (interdiction des sociétés secrètes par le droit), moraux (immoralité du serment du secret qui faisait échapper les activités des loges et de leurs membres à tout contrôle, tant ecclésiastique que civil) et religieux (interconfessionnalité des loges considérée comme dangereuse pour la pureté de la foi des catholiques qui y appartiendraient).

Parmi ces motifs, les premiers, au moins quantitativement, étaient ceux de l’immoralité du serment du secret et de l’illégalité des associations secrètes, d’autant que Benoît XIV, fin canoniste, renvoyait au droit romain (notamment à des dispositions de l’Empire contre les chrétiens) et aux diverses interdictions européennes de la franc-maçonnerie (les premières émanèrent d’États réformés : les Provinces-Unies en 1735 et le canton de Genève en 1736).

C’est parce qu’elle se considérait comme une « société parfaite » – une société qui, dans son ordre propre, comme l’État dans le sien, est complète et se suffit à elle-même pour atteindre ses buts – que l’Église catholique romaine condamna d’emblée l’ordre maçonnique.

On comprend alors d’autant mieux les inflexions que prirent les dénonciations romaines de la franc-maçonnerie après la Révolution française et tout au long du XIXe siècle, tandis que se développaient les mouvements des nationalités et, particulièrement, le Risorgimento, qui aboutit à l’annexion de Rome au royaume d’Italie.

Le Saint-Siège, face à ce qu’il jugeait être une dissolution particulièrement dangereuse des liens sociaux, desquels il pensait être le meilleur garant, vit dans la franc-maçonnerie l’un des acteurs prépondérants de la subversion en faveur de ce que Léon XIII appela, en mars 1902, dans Annum ingressi, une « contre-société ». Ainsi, en 1821, Pie VII, avec Ecclesiam a Iesu Christo, première condamnation romaine de la franc-maçonnerie depuis 1751, s’en prit aux carbonari, qu’il assimilait aux francs-maçons, et décrivit la franc-maçonnerie comme une « secte » – une société agissant contre l’Église et les pouvoirs civils – dont le dessein était de renverser l’Église et qui se caractérisait par l’indifférentisme religieux, l’immoralité du serment et un secret qui non seulement la soustrayait au contrôle des autorités légitimes, mais encore permettait aux membres les plus élevés dans l’ordre maçonnique de manipuler ceux des degrés inférieurs.

En outre, le pape Pie VII stigmatisait le caractère blasphématoire des pratiques des carbonari, qu’il assimilait implicitement à celles des francs-maçons.

Cette hostilité grandissante de l’Église catholique envers la franc-maçonnerie culmina sous Pie IX et Léon XIII, trouvant sa forme la plus achevée dans l’encyclique Humanum genus (1884), qui postulait l’existence d’une logique doctrinale de la franc-maçonnerie, tout entière commandée par un naturalisme laïciste et libéral particulièrement délétère pour la société chrétienne ; ce qui permettait au pape d’affirmer en décembre 1892, dans la lettre Custodi di quella fede : « Que l’on se rappelle que christianisme et franc-maçonnerie sont essentiellement inconciliables, si bien que s’agréger à celle-ci, c’est divorcer de celui-là. »

En 1917, le premier Code de droit canonique, confirmant l’interdiction de la double appartenance, stipula que « ceux qui s’inscrivent dans une secte maçonnique ou dans toute autre association du même genre qui complote contre l’Église et les pouvoirs civils légitimes sont, par le fait même, frappés d’une excommunication réservée simplement au Saint-Siège » (canon 2335).

Ce fut donc d’abord sur un terrain proprement canonique que se placèrent alors les catholiques favorables à un rapprochement avec la franc-maçonnerie ou avec certaines de ses composantes, plutôt anglo-saxonnes que latines. Selon eux, le canon 2335 du Code de droit canonique devait être interprété, comme toute disposition pénale, au sens strict : l’excommunication ne viserait que les catholiques appartenant en connaissance de cause à des associations maçonniques agissant contre l’Église. En 1966, la Conférence épiscopale des pays scandinaves, suivie d’autres, décida que chaque évêque pouvait, dans son diocèse, autoriser les francs-maçons qui se convertiraient au catholicisme à demeurer dans leur loge maçonnique.

Ce ne fut toutefois pas avant 1974 que cette interprétation fut validée par les autorités romaines, en l’occurrence par le cardinal Seper, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, dans une lettre adressée au président de la Conférence épiscopale des États-Unis.

Il restait pourtant interdit aux clercs, aux religieux et aux membres des instituts séculiers d’appartenir à la franc-maçonnerie, au motif du scandale qu’une telle adhésion risquerait d’entraîner chez les fidèles.

La même année, l’Assemblée plénière des évêques du pays de Galles et d’Angleterre invitait les catholiques francs-maçons à entrer en contact avec leurs évêques respectifs « pour discuter des implications de cette appartenance ». Cependant, la Congrégation pour la doctrine de la foi rappela le 17 février 1981 que les dispositions du canon 2335 n’étaient aucunement abrogées et qu’il n’appartenait pas « aux conférences épiscopales […] de prononcer publiquement un jugement de caractère général sur la nature des […] associations maçonniques », dès lors que ce jugement dérogerait aux normes romaines. Demeuraient donc possibles des jugements particuliers, au cas par cas.

Les choses en restèrent là jusqu’à la parution, le 26 novembre 1983, de la Declaratio de associationibus massonicis de la Congrégation pour la doctrine de la foi, à quelques jours de l’entrée en vigueur du nouveau Code de droit canonique, lequel s’efforçait de traduire dans le droit de l’Église catholique certaines orientations du deuxième concile du Vatican, où, lors d’un discours à la Congregatio generalis du 6 décembre 1962, Sergio Méndez Arceo, évêque de Cuernavaca, avait plaidé en faveur d’une révision de la discipline ecclésiastique afin de faciliter la venue de francs-maçons dans l’Église catholique, le dialogue œcuménique et l’élimination d’éventuels aspects anticatholiques qui pourraient exister dans la franc-maçonnerie.

En lieu et place du canon 2335 de 1917, on trouve dans le Code de 1983 le canon 1374 : « Celui qui s’inscrit dans une association qui complote contre l’Église sera puni d’une juste peine ; celui qui promeut ou dirige une telle association sera puni d’interdit. » La rédaction de ce canon fut difficile. En effet, le projet initial ne comportait pas d’équivalent du canon 2335 du Code de 1917. Ce ne fut que le 7 mai 1977 que la sous-commission du droit pénal introduisit ce qui allait finalement devenir le canon 1374 du nouveau Code. La rédaction en fut contestée, certains membres de la Commission demandant le maintien de la formulation de l’ancien canon 2335, à l’exception toutefois de la mention du complot contre les pouvoirs civils légitimes. Mais à cela il fut répondu, d’une part, que l’excommunication était une peine trop sévère, sauf en cas d’hérésie, et, d’autre part, que la maçonnerie n’était pas la même dans tous les pays ; par conséquent, il valait mieux « que des lois particulières apportent une législation pénale accommodée aux cas particuliers ».

Mais, en novembre 1983, donc, la Congrégation pour la doctrine de la foi expliqua que, selon l’intention du législateur, bien qu’il ne soit plus fait de mention explicite de la franc-maçonnerie dans le nouveau Code de droit canonique, « le jugement négatif de l’Église sur les associations maçonniques demeure inchangé, parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l’Église et l’inscription à celles-ci demeure toujours prohibée par l’Église », sous peine de péché grave et de ne pouvoir alors communier. Il était enfin rappelé que les autorités ecclésiastiques locales n’avaient pas la faculté de prononcer un jugement public sur la nature des associations maçonniques qui irait dans un sens contraire.

La Déclaration ne précisait pas quels étaient ces principes communs à l’ensemble de la franc-maçonnerie et incompatibles avec ceux de l’Église catholique ; cependant, sa source directe – une déclaration de la Conférence des évêques d’Allemagne du 12 mai 1980, Erklärung der Deutschen Bischofskonferenz zur Frage der Mitgliedschaft von Katholiken in der Freimaurerei – et son commentaire, paru en première page de l’Osservatore Romano en février 1985, permettent de les cerner : 1. La franc- maçonnerie serait fondamentalement relativiste, ce qui est particulièrement délétère pour la foi du catholique qui y appartiendrait ; 2. Sa pratique initiatique et symbolique, outre qu’elle renforcerait la prégnance de son relativisme, serait concurrente de la pratique sacramentelle catholique. De plus, l’Osservatore Romano, renvoyant surtout à deux textes de Léon XIII (Humanum genus et Custodi di quella fede), ajoutait notamment que « le climat de secret comporte […] le risque pour les inscrits de devenir les instruments d’une stratégie qu’ils ignorent ».

À s’en tenir à ce commentaire, il demeurerait donc interdit à tout catholique, sous peine de péché grave, d’appartenir à quelque organisation maçonnique que ce fût.
Cependant, certains, parmi lesquels des évêques, en jugèrent différemment, considérant la Déclaration de 1983 davantage dans l’esprit du législateur du nouveau Code de droit canonique et estimant alors qu’il revenait au confesseur ou à l’évêque du lieu d’apprécier, au cas par cas, l’existence effective ou non d’un péché grave et donc la possibilité pour tel ou tel catholique d’appartenir à tel ou tel groupe maçonnique.

D’autres encore entendaient distinguer entre une franc-maçonnerie qui suivrait le modèle anglais, croyant et apolitique, et une franc-maçonnerie qui suivrait le modèle latin et libéral, agnostique, voire athée, et politique.

Quoi qu’il en soit, tous s’accordaient, selon des modalités et des degrés différents, pour reconnaître que l’Église catholique devait dialoguer avec la franc-maçonnerie, voire, sur des questions de société cruciales, collaborer ponctuellement avec elle.

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